Maroc : créativité publicitaire, dites-vous ?

Les agences pour faire plaisir aux annonceurs et parce qu’elles sont en panne d’idées originales participent à la baisse du niveau créatif dans notre pays. Nourredine Ayouch

Nos confrères de Média Marketing magazine, dans leur dernière livraison, ont réalisé un dossier sur les agences de publicité au Maroc. Ils ont recueilli les témoignages des principaux acteurs pour nous éclairer sur la problématique de la créativité au Maroc. Voilà, en substance, ce qu’ont dit ces derniers.

Serge Barreau, le chameau, l’arabe et le cheval

« Le nombre impressionnant d’intervenants qui participent à l’élaboration d’une campagne et à force d’interventions et de compromis, un bon concept peut être vidé de son sens et même aboutir à une campagne incohérente. Dans mon jargon, j’appelle cela « un chameau ». Savez-vous ce qu’est un chameau ? C’est un cheval dessiné par un comité. »

« Nous faisons cependant toujours face à une lacune en termes de concepteur-rédacteur, métier pour lequel, contrairement aux directeurs artistiques, il n’existe pas de réelle formation au Maroc… Cela tient au fait que les formations sont francophones et que les futurs publicitaires sont souvent issus d’une éducation type mission. De plus, il semble que la communication en arabe soit encore mal considérée par certains créatifs marocains… Il y a un énorme gisement à explorer dans la communication en arabe. Et les créatifs marocains seraient bien avisés de s’approprier ce territoire, encore peu exploité, mais promettant un grand avenir, afin d’en écrire les lettres de noblesse. »

Mohamed Laroussi, ma fille, mon fils, bon vent.

« … Les publicitaires marocains, je précise, m’ont terriblement déçu. Pour ne pas dire plus. Comme la plupart des gens de ma génération, on avait un regard à la fois tendre et naïf, surtout sur ce qu’on voyait, où on entendait à cette époque. Mais de là à verser des larmes nostalgiques comme le font certains passéistes, c’est un pas que je ne franchirai pas.

Cela dit, je dois avouer qu’il m’est arrivé de remarquer que certaines anciennes pubs sont parfois mille fois plus fraîches et plus authentiques que celles si prétentieuses d’aujourd’hui. »

«  Faire plaisir au client coûte que coûte. Parce que c’est ça qui rapporte. Quant à l’éthique, la morale, la déontologie, voire le professionnalisme, tout ça, c’est bon pour amuser la galerie et faire plaisir à Laroussi.» «  Je plains ma fille et mon fils qui, malgré mes multiples mises en garde, et mon expérience décevante sur mes tentatives vaines de changement, ont choisi de faire des études de pub et de com. Pourtant, celui qui vous dit ça, aujourd’hui, a enseigné ces disciplines durant plus de douze ans. » «  Maintenant, tout ce que je leur souhaite, c’est qu’ils réussissent à changer un tout petit peu ce que leur naïf de papa n’a même pas réussi à effleurer. Et après tout, je peux le dire aujourd’hui le plus solennellement du monde : j’avais tout faux. Ça vous va comme ça. ?
 

Majid El Ghazouani, le businessman, les généraux et les gosses rêveurs

Au Maroc, la création publicitaire ne va pas plus vite que la société, elle est même en retard par rapport à sa société. Les annonceurs contribuent à cette situation.  On propose souvent des campagnes de consensus et on se rend compte par la suite que les messages sont plats. Un businessman est forcément quelqu’un de très intelligent, mais ce n’est pas un publicitaire, ce n’est pas un créatif. Or la publicité a toujours été liée à la pas­sion pour qu’il y ait de la création. L’euphorie que tu as, quand tu trouves l’idée, un businessman ne l’aura pas… On est des gosses quand on fait ce métier, c’est pour ça qu’on a choisi ce métier passionnant. Lui ne l’a pas choisi, il a industrialisé Un publicitaire vit avec la sensation de douleur dans ses tripes quand il est à la recherche d’une idée et la sensa­tion d’euphorie quand il la trouve… Aujourd’hui, on est un peu plus terre à terre parce que le marketing nous a envahis… On assiste à l’arrivée de l’ennui, des idées plates et des images pâles.

Les formations restent axées sur la technique de com. Elles ne forment pas forcément des esprits. On trouvera des soldats, des lieutenants, des commandants, mais très peu de colonels ou de généraux.

Nourredine Ayouch, imitateurs, suiveurs de tout poil, voici vos prix bidon.

Il faut déplorer un système scolaire lamentable qui empêche l’éclosion et l’épanouissement de l’individu… Le poids de la tradition et l’interprétation rétrograde de la religion incitent les agences à une autocensure nuisible à la créativité. Enfin, le raccordement historique du Maroc au système publicitaire français qui se trouve aujourd’hui dans une dynamique de créativité publicitaire bien moins performante que celle des pays anglo-saxons. Les créatifs ne sont pas suffisamment talentueux. Nous n’avons pas au Maroc de très bons créatifs… Chez nous, lorsqu’on regarde la télévision, les publicités sont d’une platitude incroyable.

Les agences pour faire plaisir aux annonceurs et parce qu’elles sont en panne d’idées originales participent à la baisse du niveau créatif dans notre pays.

On fait des créations très moyennes qu’on applaudit, il faut faire attention à cette autosatisfaction stupide.

Soyons lucides. Il n’y a pas de film ma­rocain qui ait obtenu ne serait-ce qu’un bronze à Cannes.

Alors qu’il y a eu plusieurs films africains qui ont gagné des prix à Cannes. Nous, on a obtenu des prix dans des festivals bidon. L’international ne s’atteint que par le national. Depuis que je fais de la publicité, ça va faire 35 ans, j’ai toujours observé qu’on s’est contenté d’être des suiveurs, jamais, nous n’avons innové pour être à la pointe.

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