ISO et les babouches d’Écos média

Allons-nous applaudir ? Le journal Assabah est sur le point d’être labellisé ISO, s’il ne l’est pas déjà. Cela nécessite un commentaire. Certes, la marque de certification ISO est une empreinte internationale incontestable. Une fois le sceau de son pouvoir suprême apposé au fronton d’une marque, celle-ci acquiert sur le champ ses lettres de noblesse.

Mais celle-ci, en trônant à la tête d’un journal, ne perd-elle pas de sa crédibilité ? N’est-elle pas là, un chien dans un jeu de quilles ?

Le maître et l’indigène

Car, rappelons-le, le champ d’intervention d’ISO ne saurait outrepasser ses limites circonscrites à tout ce qui touche à la production, à la qualité, au respect de l’environnement, aux règles du management. De là, à accorder sa caution à un journal est un contre-sens flagrant. Pour la simple raison que le journal est un travail qui relève du champ intellectuel. C’est une entreprise de culture et de communication appartenant à cette sphère qui ne tolère en aucun cas une certification, un cautionnement et encore moins un label de qualité !

Si cela était possible, les journaux les plus prestigieux tels Le Monde, El Pais, Herald Tribune auraient figuré depuis belle lurette au palmarès d’ISO !

Car, comme tout un chacun le sait, la chose écrite échappe à toute classification tech­nique. Seule la critique universitaire armée de certains outils d’analyse se permettrait une telle évaluation.

Hélas, la technocratie ne semble pas savoir qu’il n’y a rien à voir entre « créer » un journal et fabriquer des boites de conserve. Ce ne sont ni les mêmes critères ni les mêmes enjeux. ISO a-t-il jugé que l’intellectualité n’est pas la tasse de thé d’Écos médias où la culture est non seulement marginalisée, mais bannie et méprisée ? Est-ce cela qui l’a décidé à foncer tête baissée dans le traquenard en ne voyant que le côté management et impression ! Pure niaiserie !? Un journal comme L’Économiste, même si la technicité l’emporte. Il reste néanmoins un journal qui propage des valeurs. Le cautionner de son empreinte n’est ni plus ni moins qu’une « marque » de connivence avec cette idéologie.

Existe-t-il une idéologie de qualité ? Seul l’absurde devrait avoir une réponse !

Assabah est certes une autre orientation. Il mise essentiellement sur les faits divers et le sport ! Ce qui soulève une question brûlante : que fait ISO dans cette galère, puisque le fait divers ne se fabrique pas comme un saucisson ? Comment ISO se met entre les pattes de cette bureaucratie pour n’être qu’une mouche agglutinée aux flancs d’un titre ?

Est-ce myopie intellectuelle ou tout simplement un paternalisme colonial qui se montre peu rigoureux à l’encontre du petit indigène qui a besoin d’une autorité tutrice ? Sa minorité et son arriération génétique l’empêchent de tuer symboliquement le père ?!

Par ailleurs, pourquoi Écos Médias se montre friand des attributs de la modernité pour s’en draper des oripeaux les plus ostentatoires ? Est-ce pour dissimuler un résidu de féoda­lité coloniale qui gouverne les rapports domi­nants dominés au sein de cette vénérable technocratie ?

Est-ce pour des raisons d’ostentation quitte à se couvrir de ridicule ? La question est beau­coup plus profonde que cela ?

Comment ISO se met entre les pattes de cette bureaucratie pour n’être qu’une mouche agglutinée aux flancs d’un titre ?

Tentons une réponse hypothétique : bannir la culture, avions-nous dit ? Mais laquelle ? Évidemment, la culture marocaine ! Une fois celle-ci rejetée, que reste-t-il ? Il reste la sublimation de l’autre, c’est-à-dire le maître et son empreinte inimitable !

La dévalorisation de soi ne va-t-elle pas parallèlement avec la sublimation du maître ?

La dévalorisation de soi ne va-t-elle pas parallèle­ment avec la sublimation du maître ? Élevé au rang de modèle, le prométhéen paradigme de perspica­cité, de créativité et de mode de vie !

C’est ce paradigme, cette idole, que nous implo­rons pour nous fournir ce gabarit indéfec­tible. Nous nous sommes ainsi renseignés sur les mensurations et le degré de perfectionnement des neurones de notre modeste petite cervelle de petit indigène !

Une telle puérilité nous laisse pantois. Et nous incite à nous interroger : pourquoi les responsables d’Écos Médias ne feraient-ils pas appel, plutôt, à un conseiller en marketing ? Il leur aurait conseillé un benchmark : accorder une attention particulière à la concurrence, au pouvoir de la créativité marginalisée, au profit de la servilité obséquieuse. Mais, surtout, communiquer autrement avec ce consommateur-lecteur qui n’a jamais entendu parler d’ISO et qui s’en soucie comme un poisson d’une pomme !

La réponse la plus éclairante nous est parvenue d’une source tout à fait inattendue. Talha Gibril, le fondateur d’Assabah. Journaliste, d’origine sou­danaise, marocanisé jusqu’où bout des ongles, nous raconte ses mémoires et s’arrête longuement sur l’aventure Assabah et ses démêlés avec les patrons. Il révèle des détails tout à fait savoureux : il affirme que malgré une formation journalistique tout à fait absente, la direction tenait, contre vents et marées, à s’immiscer dans la ligne éditoriale pour l’orienter dans un sens « populiste ». Exaspéré, Talha s’écrie hors de lui : « Comment cela est-ce possible ? Une ligne éditoriale n’est nullement ces gestes saccadés de fabrication de babouches. »

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