Rappelons cette image dont rêve tout homme politique : El-Himma serrant les mains dans un souk à de braves paysans qui respirent le Maroc profond et qui le regardent avec admiration. Imaginons un seul instant, mais cette fois-ci, dans une ville, le même leader serrant les mains à de jeunes gens : garçons et filles respirant la modernité tout en lui adressant le même regard. Y a-t-il une image plus forte que celle-ci ? Cette image n’emporte-t-elle pas l’adhésion et marque les esprits ? N’est-ce pas là que résident l’authenticité et la modernité ?
La vraie star n’est-elle pas le tracteur ? Ce n’est pas un tracteur qui nous fait rêver d’un lendemain qui chante.
J’accuse un tracteur d’avoir écrasé sans pitié une belle image et piétiné une belle communion entre un leader et un peuple ! Une question surgit : quelles sont les associations que l’on pourrait faire entre un tracteur et un leader ? Tout un chacun, confronté à la psychologie marocaine, ne pourrait que s’écrier : « Oh, mon Dieu, les dégâts, les ravages et la catastrophe : VROUM, POUM, PAM et CRASH.»
Au lendemain des élections remportées par le PAM, un journal veut nous rassurer : « Ce n’est pas un tracteur, c’est un bulldozer. Le PAM n’aurait pas dû se donner pour emblème un modeste véhicule agricole, mais un puissant engin de terrassement. » Tout a été dit. Tellement bien dit que nous n’avons plus de commentaire !
Rappelons que ce modeste véhicule est tout de même un tracteur enivré de cette « ivresse que donne la campagne à ceux de la ville ».
Un tracteur, dans cet état, qui déambule sur nos rues, nos artères et que le tractoriste a du mal à contenir ou à contrôler. Il est en train aujourd’hui de vampiriser le PAM et le leader du PAM. Ceux-ci, ne sont-ils pas relégués au second plan ? La vraie star n’est-elle pas le tracteur ? Tout un chacun ne claironne-t-il pas : « Le parti du tracteur !? »
Tout le plaisir est pour ce damné tracteur ?
Cette charmante femme chevauchant le même tracteur, arborant fièrement une poitrine plantureuse, quels fantasmes déclenche-t-elle en nous ? N’est-ce pas que tout le plaisir est pour ce damné tracteur ?
Que reste-t-il d’une image ? Et d’une aura ? Les dégâts ne s’arrêtent pas là. Dans son ivresse, il arbore une rationalité agressive qui écrase sur son passage tout un univers de signes et de symboles. Tous ces arômes qui s’évanouissent, toute cette enfance de fierté, de joie et de lumière sont pulvérisées par cette machine, de cette rationalité myope et méprisante. Avouons-le : il n’y a qu’un adversaire politique acharné qui souhaiterait un tracteur comme symbole collé au front de son rival.

Les aléas d’un inconscient
Quand l’identité se confond avec l’image, celle-ci est sujette à tous les aléas d’un inconscient. Voilà pourquoi les spécialistes dans le domaine de la communication politique redoutent une telle perspective. L’identité renvoie à la personnalité du leader, ses traits et ses caractéristiques. L’image par contre renvoie à toutes ces associations suscitées, celles-là mêmes qui, quand elles ne sont pas contrôlées par une connaissance avertie de l’environnement socioculturel récepteur, conduisent à des perceptions catastrophiques.
Une image forte est souvent associée à un symbole fort qui peut être un animal ou un objet ou une couleur, mais qui se répercute positivement sur l’identité et accroît son prestige et sa notoriété et vice versa. Mais qu’inspire l’image d’un tracteur suspendu au fronton d’une formation politique ?
Quel est le message politique dans ce cas concret ?
Le tracteur ne met-il pas en avant la campagne et l’aspect rural ? Or le centre de gravité se déplace de plus en plus avec toutes les transformations et les chamboulements qu’a connus le pays. Ce n’est plus « Le fellah défenseur du trône », comme l’affirmait à juste titre et à son époque un certain Remy Leveau. Non, la paysannerie traditionnelle a perdu de son pouvoir. Les notables sont une espèce en voie de disparition. L’urbanisation galopante grignote avec son pouvoir tentaculaire sur la campagne elle-même.
Le défenseur du trône aujourd’hui n’est autre que la démocratisation, l’urbanisation et ces nouveaux notables qui sont les dirigeants d’entreprises et ces démocrates de tout bord.
Par ailleurs, pourquoi miser sur une modernité matérielle et technique qui retourne la terre et qui ne peut qu’accentuer le sentiment d’exil et d’instabilité psychologique ? Pourquoi ne pas miser sur une modernité intellectuelle qui nous réconcilie avec notre environnement et nous ouvre la voie vers une véritable authenticité ? Celle-là même qui nous permet de dominer notre désarroi et notre angoisse tout en libérant notre imagination créatrice ?
Ce n’est pas un tracteur qui nous fait rêver d’un lendemain qui chante. Un parti politique, de même qu’un leader, n’a d’impact parmi nous que grâce au rêve qu’il suscite en nous. Un rêve auquel il s’attelle à concrétiser dans la réalité vécue.
Le PAM ne devrait-il pas revoir toute sa communication ? Face à une image trop altérée par un tracteur qui a marqué les esprits en vampirisant le programme du parti, le parti et son leader avec ?


