Avec Farid et Fred, nous sommes à l’opposé de cette charcuterie de la communication, aussi insolente que sordidement affligeante. Ici, nous sommes dans la métamorphose des sens. L’animalité de l’homme n’est autre chose que ces instincts naturels qui donnent à l’amour son côté flamboyant, exacerbant un désir pour qu’il retrouve sa dimension sauvage. Cela s’appelle-t-il la créativité ?
Il va de soi qu’il n’y a pas de créativité sans prospection, sans risque de s’aventurer dans le no man’s land de nos fantasmes enfouis et de nos pulsions censurées. La créativité, c’est cet élan de découvrir d’autres hommes que l’homme, d’autres cieux que le ciel et d’autres femmes que la femme.
Quelle animalité, de quel Homme !
La créativité, signée Farid et Fred, nous enflamme parce qu’elle nous rappelle ce que nous avons marginalisé en nous-mêmes, ce que nous avons expulsé en dehors de nos frontières sacrées. Celles où prédominent la bienséance hypocrite et le conformisme stérilisant.
Alors, sommes-nous réellement des animaux ? Cette campagne « We are animals » veut-elle nous convaincre de ce que nous rejetons avec répulsion ? En effet, nous sommes des animaux, non pas dans le sens de la bestialité avec ces clichés qui collent à l’animal, les bas instincts de l’homme. Non, l’animalité ici est dans le sens rousseauiste de cette spontanéité perdue, cette bonté évanouie, cette jungle vierge où l’air pur et la nature font corps avec l’être vivant ; exactement comme ce pantalon de blue-jean Wrangler qui fait corps avec la femme jusqu’à devenir une seconde peau.
Tout succès, aussi foudroyant soit-il, aurait-il pu voir le jour, sans une communication à multiples impacts ?
Coco et Dacota sont deux jeunes femmes fatiguées d’une humanité, charriant à l’infini ses stéréotypes désuets, ses schèmes préétablis. Ces jeunes femmes, belles comme le jour, sont exténuées par cette civilisation trop carrée, trop conventionnelle, avec cette décoration trop bling bling, trop clinquante pour être naturelle. Alors, elles choisissent la forêt. Habillées non pas de peau de tigresse ou de poule mouillée, mais uniquement de jean. On les voit, féminité explosive, en pleine aventure, parfois immergée dans un lac où l’eau est tellement transparente que les sinuosités délicieuses d’un corps nous enflamment. Parfois, elles sont au bord d’une rivière, comme avec la détermination de changer son cours afin qu’elle irrigue d’autres contrées lointaines. Parfois, elles courent à grandes enjambées comme pour voler aux oiseaux leurs ailes et conquérir tout le ciel.
Créativité et tradition ne se conjuguent pas
Cette campagne narrative non seulement nous enchante, mais éblouit nos sens et nous hypnotise. Comment s’étonner dès lors que Farid et Fred sont récompensés pour un tel exploit ? En emportant le grand prix presse. Comment s’étonner si l’entreprise Wrangler voit ses ventes s’envoler comme son prestige et ses parts de marché au zénith ?
Créativité et tradition ne se conjuguent pas. Servilité et créativité ne se fréquentent pas. Innovation et résignation ne s’accouplent pas. Alors, voyons les choses autrement : créativité et révolte, créativité et rébellion, créativité et indépendance d’esprit. C’est ce damné couple qui ne retrouve la paix qu’en quittant le paradis de la certitude afin de découvrir d’autres fruits, d’autres rivières et le chant d’autres oiseaux.
Le couple damné et infernal
Farid et Fred incarnent toutes ces qualités. Pour dire vrai, toutes ces tares, toute cette damnation, ce souffle de Satan atypique et frondeur. Ne sont-ils pas, eux, qui ne retrouvent la paix que dans le feu de l’imagination, qu’en donnant libre cours aux étincelles d’un tempérament dévoré par un autre réel que le réel ?
Voilà pourquoi ce duel infernal nous marque et nous choque, non pas ce choc bête et stérilisant. Un choc salutaire qui nous secoue parce qu’il nous rappelle le sens profond de la noblesse de notre humanité. En dehors de ce carcan millénaire qui veut étouffer en nous tout souffle de toute innovation.
Rappelons cette publicité terrible : une femme accouche. Un bébé est expulsé de son ventre et puis à notre grande surprise, il s’envole à travers la fenêtre dans les airs avec une vitesse effroyable telle une fusée. Aussi, en traversant les espaces, dans ce moment éclair, il traverse toutes les étapes de la vie de l’être humain : bébé, enfant, adolescent, homme, vieux et enfin : crash. Il finit dans un cimetière, ne laissant derrière lui qu’une lamentable épitaphe.
Le message est profondément impactant. Il dépasse largement le côté mercantile du produit à promouvoir – bien que celui-ci s’incruste dans nos têtes – pour toucher la problématique humaine : la vie est si courte. Alors profitons-en davantage, organisons-la autrement et faisons de chaque moment un moment d’éternité.
Un Algérien et un Français : le feu et l’huile
Fred et Farid, c’est la rencontre d’un Algérien et d’un Français. Deux hommes aussi différents que passionnés, aussi distincts que créateurs et poètes. C’est le feu et l’huile. L’imagination s’embrase. N’est-ce pas la confrontation Algérie-France qui a donné une autre Algérie que l’Algérie et une autre France que la France ?
Voilà pourquoi le couple infernal raconte qu’au début de leur rencontre, il se détestait loyalement. Ils travaillaient tous les deux dans la même boite. Aujourd’hui, ils se rappellent en riant : « On se disputait une nana qui est partie finalement avec un autre ». Mais de quelle nana s’agit-il ? Et si cette « nana » n’était autre chose que ce désir fou d’être libre de prendre le large ? Hélas, ils ne nous racontent pas comment ils se sont réconciliés. Cependant, nous nous supposons que c’est cette passion partagée pour la même femme qui les a unis dans l’adversité, et que cette blessure inavouée les a incités à se lancer à la conquête de toutes les femmes du monde. En effet, aujourd’hui, ils peuvent se targuer d’avoir conquis toutes ces femmes, mais également tous les hommes épris de créativité et d’amour à travers le monde.
