COLORADO. On achève bien les chevaux

Rappelons cette scène mémorable de ce film légendaire. Un immense champ d’un printemps multicolore qui s’étend à perte de vue et un cheval qui court à vive allure, enjambant haies et collines. À un moment donné, il trébuche et c’est la chute et le drame : la jambe est cassée. L’enfant témoin de la scène arrive, accompagné d’un père effondré puisqu’il savait de science certaine qu’un cheval ne survit jamais à une jambe fracturée.

Son élan pour le large ne permet jamais la guérison. Alors, le père, la mort dans l’âme, pointe son fusil sur le crâne de l’animal et tire la balle fatidique qui met un terme à la souffrance de l’animal.

L’enfant a compris la leçon. Il faut bien achever un cheval car sa dignité ne tolère pas l’humiliation d’affronter des moucherons qui viendraient se nourrir de la gangrène d’une gloire blessée.

Cette « création » de l’agence Jade qui nous écœure est-elle là pour achever un cheval et un imaginaire ? Elle est armée non pas d’un fusil, mais de cette vulgaire boite en métal qui vomit un liquide aussi visqueux que jaunâtre sur la croupe du noble animal. Et ce pauvre cheval qui se cabre, piaffe et qui veut s’emballer et retrouver le large afin de s’éloigner de cette pollution dans laquelle il patauge et qui veut l’éclabousser de toute sa laideur.

Publicité choquante

Cette publicité est profondément choquante. Elle nous heurte dans notre être culturel profond parce qu’elle souille une icône, et outrage le sacré. Le cheval, dans notre imaginaire, est synonyme de gloire, de beauté et d’un élan de liberté.

L’affiche du salon du cheval

Le prophète n’a-t-il pas dit, parlant des chevaux : « Sur leurs dos chevauche une gloire, dans leurs ventres s’abrite un trésor » ? Dans la langue arabe, le terme Jawad signifie aussi bien cheval que « généreux » et les sens s’entrecroisent entre Faris « cavalier » et Faras « pur-sang » et Firassa « perspicacité intuitive ». Il est à noter d’ailleurs que le mot Al hisann est entré dans la langue espagnole Alazane et également en français Alezan. C’est par excellence Al-Hissan qui, en langue arabe, rime avec Al hassan, c’est-à-dire beauté et émerveillement.

Cette publicité intervient avec fracas pour nous rappeler que tout ce monde est en partance. Cette gloire appartient à l’histoire : que ce cheval, cette force de la nature et toute cette nostalgie qu’il suscite, est littéralement submergé, envahis par la pollution. De cette peinture chimique qui se déverse sur un printemps, un champ de blé devenu aussi cadavérique que cette pâleur jaunâtre qui le submerge.

Koulou et Radeau de la méduse

Cette même publicité, en pulvérisant tant d’images, tant de nostalgie, que nous laisse-t-elle après tant de ravages ? Il reste le mot Colorado qui sonne comme une nuée de corbeaux dans un univers en ruine. Ce mot terrible est constitué de deux syllabes : Koulou et rado. Koulou n’est autre que « manger » cette pollution, vous n’avez qu’à « dévorer » cette fumée pour vous empoisonner avec toutes les conséquences : asthme et allergies. L’autre partie Rado n’est autre que le radeau de la Méduse, c’est le naufrage d’une civilisation.

Pour conclure, disons que cette publicité dans certaines de nos principales artères est là pour heurter profondément nos sensibilités. Voilà pourquoi, chaque fois que nous la voyons, nous détournons notre regard avec dégoût. Parfois sans savoir pourquoi. Mais en scrutant notre inconscient, nous découvrons qu’elle piétine notre sens de l’esthétique tout en insultant l’un de nos symboles les plus chers. Et surtout, parce qu’elle annonce la fin de la poésie et l’inauguration de l’ère du béton armé, de la pollution et de l’indigence intellectuelle : l’ère des « big ideas », big AlKhasser et d’autres big médiocrités.

 

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