Contemplons de près ce visuel et posons-nous la question : que reste-t-il du cheval dont la tête tranchée est remplacée par celle d’un coq ? Le regard d’un chapon horrifié de ce qui lui arrive. Un regard qui exprime également notre propre horreur devant une telle monstruosité.
Contemplons cette crête dont la dentelure n’est que fléchettes crucifiant notre imaginaire. Cette crinière qui n’est plus qu’une bourre et cette queue délustrée qui n’est plus qu’une fourchée de paille, sinon une botte de foin jaunâtre, est effilochée.
Que reste-t-il de notre cher cheval ? Même sa partie génitale, synonyme de vigueur, d’élan, est sectionnée pour laisser entrevoir une castration par ablation. C’est la logique même de la démarche. Peut-on dénaturer un cheval et le charcuter tout en respectant son intimité et sa virilité ?
Contemplons ces pattes tendues en avant dans une position de capitulation, de résignation devant le sort qui impose à ce pur-sang d’être sacrifié et égorgé comme une vulgaire poule. A-t-on déjà vu un cheval égorgé ? Égorger un cheval est un acte barbare.
Un acte déshumanisant exprimant la rupture d’un pacte entre la noblesse de l’homme et celle d’un fidèle compagnon de gloire. Dans notre imaginaire musulman, la chair du cheval est réprouvée. La morale publique considère qu’égorger un cheval est un acte de blasphème.
Frankenstein à l’œuvre
Que signifie cette image qui nous terrorise et nous choque dans nos sentiments les plus profonds jusqu’à nous faire tressaillir et frissonner ? Est-ce la métamorphose ? Non, la métamorphose consiste à changer de forme et à devenir autre. C’est-à-dire, se recréer autrement et endosser une autre identité. Les contes fabuleux comme les « Mille et une nuits » regorgent de ces êtres qui se métamorphosent en rocher, en loup… Dans L’Alchimiste de Coelho, le jeune héros se métamorphose, à un moment donné, en vent…
Tout cela n’est-il pas parfaitement illustré dans l’art cinématographique et théâtral ? Où les acteurs se métamorphosent d’un personnage à un autre.
Ce visuel monstrueux nous choque parce qu’il ose insolemment une transmutation déformante et défigurante. C’est une atteinte à l’identité profonde qui constitue l’essence même de l’être, qu’il soit humain ou animal. C’est ce qui explique cette répulsion profonde que nous ressentons.
La science est confrontée à ce problème. Voilà pourquoi elle accorde un intérêt croissant à l’éthique. Sans ce garde-fou, l’humanité est condamnée à sombrer dans l’horreur apocalyptique.
ALMASSKH ou l’abâtardissement
Alors que signifie cette campagne ? La difficulté de trouver le mot exact dénote de la grossièreté et de l’étrangeté de la chose.
La langue savante ne baisse-t-elle pas les bras, souvent, devant le sordide ?
C’est dans ce contexte que le dialectal se rappelle, à notre souvenir, avec sa vivacité déconcertante. Il intervient avec fracas pour nous fournir le mot adéquat, qui n’est autre ici qu’ALMASSKH, qui signifie l’abâtardissement radical, c’est-à-dire, le sacrifice d’une identité. L’absurde qui altère les contours de cette même identité en la chevauchant par le biais d’un montage grossier à une autre tout à fait différente. ALMASSKH, c’est cet être difforme et contrefait qui n’a point de caractère déterminé. C’est l’hybridation, fruit d’une copulation immorale, dans sa dimension la plus négative. Car l’hybridation a tout de même son côté positif : une fécondation qui résulte d’un croisement entre espèces ; un métissage qui enrichit l’identité. Contrairement à cela, cette hybridation charcutée est une action répugnante et a pour conséquence d’effacer l’essence de l’être et de porter atteinte à l’harmonie du cosmos.
Ce visuel sans aucune extrapolation exprime l’indigence d’une culture de plus en plus égarée dans les labyrinthes d’un environnement hybride où l’appât du gain l’emporte sur toute autre considération. Il s’agit d’une culture privée de ses ressorts intimes, de ses repères et de son authenticité.
Alors, un cheval n’est plus le symbole d’une gloire déjà évanouie et peut donc être contrefait à volonté : on peut lui coller la tête d’un coq ou d’un âne ou même d’un porc, c’est du “kif kif”.
Tailler dans le vif de notre âme
«Wach hna Houma hna A guelbi Oula Mouhal». Sommes-nous ce que nous sommes ou bien, oh mon Dieu, sommes-nous, autre chose ? Ainsi chantèrent Nass El Ghiwan, en tambourinant sur les fibres de l’âme marocaine qui se débat toujours dans les filets d‘une modernité qui, faute d’être assimilée, deviendrait abâtardissante.
La gastronomie est un art, un savoir-vivre et un savoir-faire. Comment promouvoir un tel art ou l’exporter sans un minimum de savoir-faire communicationnel ?
La Koutoubia avait-elle besoin de charcuter notre âme et de tailler dans le vif nos émotions ?





